Wednesday, September 9, 2009

Asymétriphobie

Asymétriphobie : peur des choses non symétriques.

Noé naquit un 2 février, à 2h22. Il sortit du ventre de sa mère quelques secondes avant son frère, Néo. Dans cet hopital allemand, tout était blanc, carré, ordonné, symétrique : juste. Installé au 2è étage, dans la chambre 222, son frère et lui s'affairaient chacun sur leur sein maternel. Il ne fallait pas chercher plus loin pour trouver le bonheur.

Alors qu'il avait quatre jours, Noé découvrit sa maison. Sa mère l'installa dans son berceau. Seul. Où était passé Néo ? Pourquoi n'était-il plus avec lui ? Il piqua une colère rouge. Si rouge qu'il s'arréta de respirer. Cela fonctionna. Néo se retrouva aussitot à ses cotés. Ce qui était étrange, c'est que son frère était tout rouge également. On avait du lui faire subir de terribles tortures loin de lui, c'était certain. La communication n'étant pas le fort de la fraterie à cette époque, Néo n'avoua jamais à Noé durant le peu de temps qu'ils passèrent ensemble que lui aussi avait usé de la technique de retention de respiration pour se retrouver près de son frère, installé dans le berceau jumeau.

Les jours passèrent, dans une quiétude et une insouciance que seuls les nouveaux-nés peuvent connaitre. Noé comptait les barreaux de son berceau carré : 48. Le nombre d'oiseaux à distance de bras qui chantaient en rond au dessus de sa tete : 12. Le nombre de ses doudous : 2. Tout allait par paires. Ses jouets, ses parents, ses yeux, ses oreilles, son frère et lui... tout. Et tout allait bien. L'équilibre fut brisé d'une bien étrange manière. Si étrange que Noé en garda les sévices inconscients toute sa vie.

Le jeu préféré de Noé, et par conséquent, celui de Néo également, était de frapper son frère. Gentiment. Comme ca. Pour voir. Ce qui permettait de les reconnaitre :

- Tu veux bien t'occuper de Noé s'il te plait, pendant que je change Néo...
- Bien sur. C'est lequel ?
- Celui avec la bosse au dessus de l'oeil droit, pas celui avec le pansement sur le genou gauche...

Un jour qu'ils s'adonnaient à leur passe-temps barbare favori, Noé eut un éclair de génie : et si je me faisais des alliés pour l'offensive ? Il regarda autour de lui et les oiseaux qui chantent lui parurent la force militaire la plus engageante et la plus facile à convaincre. Dans un effort surbébé, il tendit les bras et réussit à agripper maladroitement l'un des oiseaux.

Le père des jumeaux était comptable. Pas bricoleur. Comptable. Par conséquent, le cadeau de tante Georgette, cette horreur piaillante d'oiseaux tournicoteurs - le cadeau, pas la tante... quoi que... - il le fixa avec les moyens du bord et l'attention d'un débutant : mal.

Lorsque Noé toucha l'oiseau, celui-ci se désolidarisa, bascula, tituba, émit un piaillement suraigu d'oiseau qui part à la dérive et glissa lentement dans le vide qui s'offrait à lui, après moultes tentatives pour reprendre son équilibre. L'axe de son perchoir avait eu le temps de bouger un peu pendant la manoeuvre, si bien qu'au moment de la chute, l'oiseau se trouvait juste au dessus de Néo. Il piqua tout droit, en plein dans la gorge du bébé, qui criait déjà de joie face à la déconvenante tentative de son frère de rallier les forces ailées à sa cause. En dix secondes, Néo s'étouffa avec le piaf en papier. Noé entamait déjà sa danse de la victoire quand sa mère apparut, affolée. Elle n'eut alors d'yeux que pour Néo et délaissa Noé pendant plusieurs heures. Il ne revit jamais son frère. Jamais. Mais ses parents ne le regardèrent plus avec le meme regard d'amour. Tout ça à cause d'un stupide oiseau de papier tombé de son perchoir. Il passa les jours suivants à contempler le malheur s'abattre sur lui et les manifestations du malheur furent évidentes : il s'agissait du désordre. Il se retrouvait seul sans Néo. Et les onze oiseaux restants le dévisageaient d'un air culpabilisant. L'harmonie était rompue. Le charme brisé. La grace disparue. L'asymétrie regnait sur le monde !

A seize ans, Noé quitta le nid familial. Certains appellent cela une fugue. Il appela cela "Liberté". Il fut recueilli par Doudou, un grand noir arrivé de Martinique 30 ans plus tot en Métropole. Doudou s'occupait d'un zoo. Depuis la mort de son frère trois ans plus tot, il avait pris la tete de l'entreprise et commençait à se sentir vieux et las depuis la mort de son fils, Marius, l'an passé, pour de stupides raisons gastriques. Il se prit d'amitíe pour le petit Noé qui lui était apparu perdu devant les grilles du zoo sous une pluie diluvienne. Il trouva en lui un héritier pour lui succéder à la tete du zoo.

A vingt ans, Noé pleura Doudou et se retrouva à la tete d'un zoo. Il aimait ses animaux. Tous. Il élargit le zoo par une annexe qu'il transforma en ferme pour les petits enfants. Il fit en sorte que chaque race animale soit représentée par un couple. Sa phobie de l'asymétrie reprenait le dessus. Sans que l'on puisse trop expliquer pourquoi, le zoo devint un véritable succès économique. Et dans cette tache, Marianne était aux cotés de Noé pour l'épauler. Quand le tsunami ravagea le pays, ils durent faire face. Ils firent monter tous les animaux sur le toit du batiment principal et attendirent l'accalmie, en faisant en sorte que les loups ne mangent pas les moutons.

Par miracle, le zoo fut sauvé. Seule Cunégonde, l'abeille, manquait. Mais Noé n'avait pas envie de passer le reste de sa vie dans le zoo. Marianne si. Or le zoo était à lui. A lui seul. L'asymétrie du couple fut fatale. Il revendit le zoo s'en rien en dire à Marianne. Il emporta avec lui le cheval et la jument, ses préférés. L'argent de la vente lui assura une rente suffisante pour le restant de ses jours. Marianne le quitta.

Après trois ans de solitude, il s'ennuya. Marianne lui manquait, mais il ne pouvait pas la rappeler. Il rencontra Clémence sur Internet. Et tout alla très vite, jusqu'à son décès sous une pluie de grenouille alors qu'il partait en voyage de noce. Mais il aurait du prévoir. Le vol 137 pour Le Caire avait 37 minutes de retard au décollage, 13 à l'arrivée. Il y avait 79 passagers dans l'avion, principalement répartis à gauche de l'appareil. A l'aéroport, le chauffeur de taxi avait une balafre sur la joue droite. Le Sphinx avait un coté du nez cassé. Dans leur chambre d'hotel, le lit double n'était pas centré, le tableau représentant Osiris était penché, et la déco du balcon sur lequel il se tenait était partiellement détruite donnant à l'ensemble un manque d'harmonie évident. Pas étonnant que l'une des premières grenouilles s'abattit sur lui. Les signes étaient là. Noé partit rejoindre son frère Néo dans un plongeon de sept étages avec ses amies batraciennes.

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