Wednesday, September 9, 2009

Batracophobie

Batracophobie : peur des grenouilles

Noé était désespéré. Il se retrouvait seul depuis maintenant trois ans, et la traversée du désert lui devenait pesante. Un peu honteux, il créa un compte sur un site de rencontre sur Internet et surfa. Il chatta avec de pulpeuses inconnues sans vraiment y croire. Il en rencontra quelques-unes. Il se rendit compte qu'il y avait systématiquement erreur sur la marchandise. Les photos ne remplacent pas la réalité et Photoshop en était en partie responsable.

Il y a eu celle qui parlait pour ne rien dire. Celle qui parlait pour parler. Celle qui s'écoutait parler. Celle qui n'aurait jamais du parler. Celle qui ne disait rien. Celle qui ne se comprenait pas elle-meme. Celle qui riait de tout, y compris de la mort de ses parents. Celle qui était blonde à l'intérieur et à l'extérieur. Celle qui ne savait pas du tout écouter. Celle qui était vraiment moche. Celle qui avait la grosse tete. Celle qui se plaignait de tout. Celle qui ne parle pas français, ou alors pas le meme...

Et puis il y a eu Clémence.

Au deuxième rendez-vous, Clémence fut surprise. Noé l'attendait sur les marches d'un restaurant deux étoiles avec un bouquet de deux roses rouges en l'accueillant d'un "Tu es magnifique !" Il faut dire qu'elle avait beaucoup aimé le premier rendez-vous et qu'elle s'était effectivement mise en beauté. Aussi ne fit-elle pas remarquer que cela ne se faisait pas d'offrir un nombre pair de roses. De toute façon, elle ne connaissait pas la raison de cette étrange coutume.

Ils prirent place devant une table romantique. Clémence se dit que pour quelqu'un rencontré sur Internet, il savait jouer le grand jeu. Au moment de recevoir les menus, elle s'étonna de ne pas voir les prix affichés sur le sien. Elle n'avait pas l'habitude.

- Je n'ai pas les prix...?
- C'est normal. Moi si. Tu choisis ce que tu veux.
- Dis moi, tu es milliardaire ?
- J'ai suffisamment d'argent pour me permettre ce genres de folies.
- Mais tu ne me connais meme pas.
- Ce que je connais de toi me plait.
- Ah oui ?
- Tu ne parles pas pour ne rien dire. Ni pour parler ou t'écouter parler. Ta conversation est intéressante, intelligente, drole. Tu sais écouter, rester humble. Et tu es belle. Très belle.

Clémence se mit à rougir.

- Alors dis moi comment cela se fait-il qu'un gentleman comme toi, avec ses manières, son argent et son aisance se sente obligé de chercher l'ame soeur sur Internet ?
- Qui te dit que je cherche l'ame soeur ?
- Goujat. Non, mais sérieusement. Pourquoi ?
- Il est encore un peu tot pour te dévoiler mes cotés obscurs, non ?
- J'en étais sure. Ca n'existe pas.
- Quoi donc ?
- Le Prince Charmant.
- C'est parce que tu n'as pas encore vu mon cheval que tu dis ça ?
- C'est vrai, tu as un cheval ?
- Bien sur. Et une jument. Si tu veux, on pourra les monter ensemble...
- Je n'en reviens pas.
- De quoi ?
- Le dernier mec que j'ai rencontré sur Internet m'a invitée au Mc Do et bavait légèrement quand l'idée lui venait qu'éventuellement il allait me mettre dans son lit.
- Ca arrivait souvent ?
- Tout le repas. 3 minutes et 48 secondes. Une éternité après laquelle je me suis éclipsée. Je n'ai jamais mangé un hamburger aussi vite !
- Ce qu'on appelle un vrai speed date. Tu es tombée sur un cas...
- Tu rigoles, mais celui d'avant m'a emmenée dans un restau sympa, sans prétention. Il était gentil, mais un peu simple, voire benet. Au moment de l'addition, il m'a quand meme laissée payer ma part de l'addition. Il était surpris que je ne le laisse pas me raccompagner chez moi et m'a insultée en me traitant de tous les noms.
- Il y a des bonnes manières qui se perdent. Règle numéro 1 : payer l'addition quand on est un homme. Meme si l'on ne veut pas coucher.
- Et si l'on veut coucher ?
- Faire rire, bien sur.
- Bien sur. La moitié du chemin... c'est ton secret de Casanova ?
- Si tu savais... je ne suis pas celui que tu crois. Casanova est un peu à l'antipode de moi.
- Tu as raison. Les Casanova ne m'attirent pas du tout.

Le repas fut exquis - si ce n'est pour une cuisse de grenouille qui faillit se bloquer dans la gorge de Clémence - et la complicité était à son comble. Ils couchèrent ensemble ce meme soir. Et les suivants. Et ceux d'après encore, jusqu'à former un vrai couple. Ils se fiancèrent, aménagèrent ensemble, et le jour du mariage arriva vite. Pour son enterrement de vie de jeune fille, elle eut une longue discussion arrosée avec son amie Cindy - avant l'accident tragique durant lequel cette dernière perdit un oeil.

- Tu sais, Clém', je t'admire. L'engagement, tout ça, ça m'épate. En plus, il est chouette Noé. Je l'aime bien. Belles manières, beau gosse. Il a meme refusé mes avances, c'est dire si c'est le bon pour toi !
- C'est l'amour Cindy. Tu verras, un jour aussi ca te tombera dessus. Meme à toi.
- Me parle pas de malheur. Non, moi ce que je veux, c'est m'amuser, tu vois. Me faire un max de beaux mecs, tous plus jeunes les uns que les autres. Mais je trouve que t'es courageuse. Je suis fière de toi.
- Tu dis n'importe quoi ma chère Cindy. Toutes les filles aspirent à se marier un jour...
- Tu rigoles ? Regarde par exemple, le beau mec, là-bas, au comptoir, avec toutes ses touillettes. Et bien je te parie que je me le fais dans l'heure et que je ne l'épouserai jamais.
- Cindy, je t'en prie, reste avec nous. C'est mon enterrement de vie de jeune fille ! Tu n'as pas besoin de prouver quoi que ce soit. Il ne te plait meme pas, ce type, ça crève les yeux...

Prémonition.

Le mariage eu lieu une semaine plus tard, sans Cindy qui était toujours sous surveillance à l'hopital. L'église à n'en plus finir, le lacher de ballons durant le cocktail, une multitude de discours inégaux, le feu d'artifice. A six heures du matin ils se couchaient. A dix heures, ils étaient dans l'avion pour leur voyage de noces, direction l'Egypte.

Ils n'eurent pas de chance. Les éléments se déchainèrent. Le temps était apocalyptique. On aurait dit que la nuit s'était emparée du soleil. Le vent soufflait fort. Et alors que Noé se consolait de ce voyage de noces original avec une bouteille de vin sur le balcon de leur chambre d'hotel en criant haut et fort à Clémence qu'il l'aimait, il reçut l'une des premières grenouilles de cette hallucinante pluie de grenouilles en plein sur le crane. Le choc et la surprise lui firent perdre l'équilibre. Il bascula par dessus la rambarde et se retrouva sept étages plus bas. Mort. Des milliers de grenouilles recouvrèrent son corps. Si bien que ce fut la dernière image que Clémence eut de son mari qu'elle venait d'épouser deux jours plus tot.

Depuis, luttant contre sa peur maladive de l'animal, elle passe son temps à faire fumer aux grenouilles qu'elle croise des cigarettes, jusqu'à les voir exploser.

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