Wednesday, September 2, 2009

Géphyrophobie

Géphyrophobie : peur de franchir un pont

Moise était touropérator. Avec son groupe, il visitait l'Egypte. Quelques imprévus météorologiques dans le programme les firent changer d'itinéraire. Ils se retrouvèrent devant une rivière marronatre. Moise ne connaissait pas le coin. Ils firent deux groupes, un qui partit à droite, l'autre à gauche, afin de trouver un pont pour pouvoir traverser.

Francois, pour se changer les idées de son divorce récent, était parti en voyage organisé avec Moise. C'est lui qui vit le pont le premier. Son cri strident transpersa l'espace et les deux groupes se retrouvèrent très vite devant un pont en bois suspendu délabré à l'aspect peu encourageant qui passait quinze bon mètres au dessus de la rivière. Les négociations commencèrent.

- Euh...c'est toi l'organisateur, Moise, c'est à toi de passer le premier, non ?
- C'est à dire que... c'est pas toi Francois qui l'a trouvé ? A toi l'honneur...
- Non, non. Je n'en ferais rien. Tu sais, j'ai deux enfants qui veulent revoir leur père un jour - enfin je l'espère...
- Et moi, j'ai un père qui compte sur moi pour faire de grandes choses...
- Pourquoi tu commencerais pas par traverser ce pont. Je suis sur que ton paternel sera très impressionné quand on lui racontera ton exploit...
- Je pense qu'il attend quelque chose de plus... comment dire... de plus percutant.
- Allons, fais pas ta mijorée. Je suis sur que quand tu vas t'éclater contre les rochers en bas, ce sera très percutant.

Moise était à court d'argument. Il prit son courage à deux mains et s'engagea sur le pont ballant. C'est le moment que choisit le vent pour se mettre à souffler violemment. L'instabilité du pont qui défilait sous ses pieds était manifeste. Les applaudissements de son groupe resté en sécurité sur la terre ferme n'étaient pas d'un réconfort nécessaire. Moise s'efforcait de ne pas regarder en bas. Surtout pas. Pas en bas. Le vertige s'emparerait de lui et ce serait la fin. Il était déjà bien assez difficile, avec ses jambes qui flageollaient sans cesse, de mettre un pied devant l'autre. Arrivé au milieu du pont, il reprit du courage. Le plus dur était fait. Il jeta un oeil en arrière, fier, pour montrer à son groupe combien il était fort et courageux. Et puis craaaaac. Moise, terrorisé, s'interrogea. "Comment ça ? Craaaaac ?". Comme pour confirmer, le pont émit un nouveau crac. Plus marqué. Plus pressant. Plus inquiétant.

La chute dura quelques secondes d'éternité. Dans son malheur, Moise eut de la chance. Il survécut. Mais pendant ces quelques secondes de chute, une seule idée lui vint en tete, en boucle, encore et encore : "pourquoi Père ne m'a-t-il jamais appris à nager ?!?"

Jean-Edouard, qui avait son brevet de secouriste, sortit du groupe pour se lancer façon Weissmuler à la rescousse de Moise qui commençait à boire la tasse. Après quelques instants de bouche à bouche, Moise recracha la moitié de l'eau de la rivière, mais il respirait. En revanche, il fallait maintenant s'occuper de cette planche de bois qui s'était plantée dans la jambe de Moise.

Trois ans plus tard, Moise boitait toujours. Cela ne l'empéchait pas de reprendre du service. Le hasard voulut qu'il retourne en Egypte. Se succédèrent une multitude d'événements surprenants qui firent dire plus tard à Moise que vraiment, non mais vraiment, il avait la poisse. A peine eut il posé le pied en Egypte qu'une guerre civile éclata. Les mitraillettes chantaient de toute part, les cris des femmes, des enfants et des hommes formaient un fond sonore difficile à ignorer. Un génocyde se mettait en place. Moise passa récupérer son groupe de voyage à l'agence. Quelle surprise de voir que le groupe, normalement limité à une douzaine de personnes, était composé de tout un peuple. Encore un stagiaire au marketing qui avait du se planter sur un détail. Moise se promit de remonter l'information pour qu'on tape sur les doigts dudit stagiaire. Non mais franchement. Qu'est ce qu'il allait faire de tout se monde ? Et puis question pratique, on a vu mieux. Où est-ce qu'il allait trouver suffisamment de chambres d'hotel pour tout ce monde ? Et les p'tits déj ? Américain ou Continental ? Moise sentait que la semaine allait etre longue.

Ils quittèrent Le Caire en bus. Mais le poids de ces milliers de vacanciers entassés sur un bus fit s'effondrer leur unique moyen de transport - qu'il avait été déjà bien compliqué d'obtenir, aucun chauffeur ne voulant prendre le risque de prendre tout ce monde pour des raisons compréhensibles d'assurance. Ils durent donc poursuivre à pied longeant le Nil. Le Groupe était ravi de cette jolie randonnée champètre-desertique. Jusqu'à ce que les eaux du Nil tout à coup prennent une couleur rougeatre inquiétante. Jesus, qui visiblement était expert en la matière, confirma les craintes de tout le monde : les eaux du Nil étaient en sang. Les suspections fusèrent. Et Judas, qui faisait parti du groupe lacha tout haut ce que les autres pensaient tout bas :

- Tu fais chier Jesus. T'as pas pu t'empecher, hein ? Et maintenant, on boit quoi ?
- Mais je te jure sur la tete de mon pere que ce n'est pas moi !

Moise ne comprenait rien a cette private joke et reprit la route, suivi par son peuple. Ils bifurquèrent, direction l'Est. Il ne faisait pas bon rester trop pret du Nil. A peine eurent-ils quitté les rives du fleuve qu'une pluie de grenouilles leur tomba sur le crane. Cela devait etre un coup des français qui venaient fourrer leur nez dans les affaires politico-stratégiques de l'Egypte. L'avantage, c'était que le problème de la nourriture était réglé. Mais cette pluie de grenouille ne fut que le début d'une série d'incidents improbables.

Les mouches et les moustiques attaquèrent la population, pondant des oeufs un peu partout. La vermine fit son apparition. Puis le betail perit sous le fléau de la peste, qu'on avait pas vu depuis des siècles. Les habitants présentèrent d'ignobles furoncles, prémices de la lèpre. Puis la grèle compléta le travail des grenouilles pour cabosser le crane des gens. Alors que l'on pensait avoir tout vu, tout subit, et que le groupe commençait à se plaindre de l'organisation de ces vacances, une pluie de sauterelles fit des ravages au sein du groupe qui perdit peu à peu sa motivation, malgré les efforts de Moise pour leur faire chanter des chants joyeux, les soirs au coin du feu. Hélas, un soir, le soleil ne se leva pas pendant trois jours ! Les ténèbres régnèrent pendant 72 heures. Jamais on avait vu d'éclipse du soleil aussi longue. Enfin, un problème de natalité survint : tous les premiers nés mouraient durant la nuit. Le commissaire Romain Pilate, qui était de vacances avec le groupe, mena son enquete et trouva le coupable : le médecin du groupe, un certain Avrel Orteman.

Bref, Moise, alors qu'il guidait ses troupes vers la Mer Rouge, prit une grande décision : après ce séjour, il allait démissionner. Il n'était pas normal de travailler dans ces conditions. Et puis il exigerait une prime conséquente, suite aux conditions difficiles de cette dernière mission. Une prime à la hauteur des risques et du stress de cette excursion. Alors qu'il était perdu dans sa reverie, Judas vint le voir.

- Moise, je crois qu'on a un problème...
- Mon bon Judas. Je ne vois pas ce qui pourrait etre pire que ce que l'on vient de traverser.
- On a des troupes armées à nos trousses. Version commando. Ils sont à 100 contre un. Et ils ont l'air très méchants et très pas contents du tout.
- Mince alors. C'est qui ? Les Russes ? Les Shiites ? Les hutus ? Les Cubains ? Les féministes ?
- Toi, t'as fait des conneries dans une vie antèrieure. Non, c'est juste les égyptiens...

Branle-bas de combat, les troupes se pressèrent pour éviter d'etre rattrapées par les égyptiens. Elles buttèrent rapidement sur la Mer Rouge.

- Et on fait quoi maintenant, Moise.
- Je sais pas. Laissez moi réfléchir. Je vais trouver une solution. Une fois encore...

A ce moment, Moise voyait le montant de sa prime monter de manière vertigineuse. La coincidence voulut que François fasse partie du groupe de Moise, trois ans après l'accident du pont suspendu. Le meme Francois. Toujours pas remis de son divorce. C'est lui qui trouva à nouveau le pont. En effet, un peu plus en amont, un pont traversait la Mer Rouge. L'espoir se mit à renaitre au sein du groupe. Avec un peu de chance, on allait pouvoir passer en Arabie Saoudite avant que les forces armées egyptiennes ne les canardent.

Tout le groupe fut abasourdi en voyant Moise s'approcher du pont, sereinement, une machette à la main et commencer à couper, couper, couper, jusqu'à ce que le pont s'écroule. Jésus,en tant que porte-parole des vacanciers, s'approcha de lui.

- Euh...Moise. Je n'ai rien contre les actes terroristes en général et la destruction des ponts en particuliers, mais, comment te dire les choses sans te froisser... qu'est ce que tu fous bordel ?!?
- Quoi ?
- Pourquoi tu détruis notre seul espoir de survie ? Tu ne veux quand meme pas que l'on se mette tous à marcher sur l'eau ? C'est quoi ton plan ?
- Parce que tu crois que j'ai un plan ? Non, c'est juste que depuis trois ans, je peux plus voir un pont en portrait. C'est plus fort que moi, je peux plus les encadrer. Alors voilà. Quand j'ai vu ce pont, ça m'a pris comme ça. Il fallait que je le détruise. T'as quelque chose à redire à ça ?
- Franchement ?
- Non, t'as raison, réponds pas.

Puis, repoussant Jésus, Moise grimpa sur la Dune qui dominait la plage où s'amassait son monde et il prit la parole.

- Mes amis ! Je vous ai amenés jusqu'ici, ce n'est pas pour vous abandonner. Si vous avez la Foi, si vous croyez en moi, ensemble, nous nous en sortirons. Faites moi confiance.

Le speach de Moise ne fédéra pas vraiment les foules. Le scepticisme était perceptible, limite palpable. Au coeur de ce silence de doute, les premières détonations se firent entendre, dans le lointain. Les impacts des obus étaient encore loin du groupe, mais les troupes ennemies ne tarderaient pas à fondre sur eux et à les anéantir, visiblement sans sommation.

Moise était perdu. Il ne savait pas quoi faire. Il descendit de sa dune et alla retrouver Jésus. Il lui murmura à l'oreille, pour que personne ne les entende :

- Tu m'as pas dit que ton père avait le bras long ? Tu penses pas que ce serait le moment de lui passer un petit coup de fil ?
- J'aime pas ça. A chaque fois que je lui demande de l'aide, je suis bon pour tondre la pelouse de chez lui pendant six mois.
- Oui, mais là, y a urgence. Si tu veux, je t'aiderai à tondre...
- Bon, OK, mais avant, tu permets que je fasse quelque chose ?
- Je t'en prie...

Jésus envoya un crochet dans la machoire de Moise, surpris par une telle violence. Une dent éclata. La machoire douloureuse, Moise se releva, fixant Jésus d'un regard noir et lui demandant de téléphoner à son paternel.

Cinq minutes plus tard, la Mer Rouge s'ouvrait en deux et les vacanciers se ruèrent dans la breche. Les Egyptiens arrivèrent un peu plus tard, les suivirent et la Mer Rouge se referma sur eux.

Arrivés en Arabie Saoudite, les touristes commencèrent à respirer et à remercier Moise de les avoir ainsi sauvés d'une mort certaine. Comme Moise était très sportif, et malgrè sa jambe bancale, il grimpa seul le Mont Sinai, trouva des tablettes en pierre sur lesquelles étaient écrit des conneries et redescendit en pensant qu'il pourrait en tirer un bon prix au bazar de Marrakech.

On enleva les menottes des poignets du Dr. Orteman afin qu'il puisse soigner la machoire de Moise, étrangement en sang sans que personne ne sut expliquer pourquoi. Orteman remis son dernier diagnostic sur une ordonnance qu'il tendit à Moise. Moise lut. S'irrita. Pris les tablettes qui trainaient la et les brisa sur le crane d'Av. Orteman. Judas passa derrière pour nettoyer, récupéra l'ordonnance et lut.

"Dent cassée. Pont nécessaire".

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