Thursday, August 27, 2009

Philatélophobie

Philatélophobie : peur des collections de timbres

Raymond travaillait aux PTT, derrière le guichet. Cela répondait parfaitement à son exigence d'ambition inexistante. Son grand secret, son grand plaisir, celui qui le faisait vibrer et avancer dans la vie en lui donnant un but c'était sa collection de timbres. Une collection impressionnante et illégitime. En effet, Raymond profitait de sa position pour chaparder de-ci de-là des exemplaires inestimables venant compléter sa collection. A se demander si ce n'était pas dans l'acte cleptomane lui-meme qu'il trouvait son bonheur, plus que dans le produit de ses larcins. Braver l'interdit, quoi de plus grisant ?

A quarante deux ans, Raymond traversait une crise. C'est certain. Geneviève, sa femme, le voyait s'enfermer petit à petit dans son monde, dans son bureau, entouré de ses timbres. L'homme enjoué qu'elle connaissait devint taciturne. Le divorce n'était pas encore une solution qu'elle pouvait envisager. Elle trouva autre chose : elle tomba enceinte.

Kevin naquit. Ses parents l'aimèrent. Son père était souvent absent. Physiquement, il était là, mais son esprit était absent. Et tous les soirs, il disparaissait dans son bureau dont l'accès lui était interdit. Kevin sentait bien que tout ceci n'était pas normal. Il devinait sa mère malheureuse. A six ans, Kevin n'était déjà plus vraiment un enfant.

Les crises se firent plus fréquentes. Raymond et Geneviève en vinrent à jeter les pizzas contre les murs en se criant dessus. C'était le signe qu'un point de non retour était atteint. Dans ces moments tourmentés, Kevin aurait voulu se faire tout petit. Sa compréhension de la situation le rendait systématiquement responsable de cette cacophonie familiale.

Kevin avait douze ans. Pendant plusieurs jours, il ne vit pas son père. Il s'en inquiéta. Où était-il parti ? Il ne lui avait meme pas dit au revoir. Sa mère n'était pas capable de lui répondre. L'alcool s'était emparé d'elle et elle passait le plus clair de son temps affalée sur le grand lit à marmonner des phrases incompréhensibles dans lesquelles étaient invariablement associés "ton fumier de géniteur" et "sa putain de collection de timbres". Elle laissa comprendre que Raymond se trouvait enfin à sa place, ce qui ne pouvait pas etre une très bonne nouvelle.

Kevin était le fils de son père. Son talent cleptomane était inné. Muni d'épingles à nourisse, il crocheta en cinq minutes la porte du bureau de Raymond. C'était la première fois qu'il pénétrait l'antre interdite. Il ne savait pas à quoi s'attendre. Allait-il trouver les cadavres d'une demi-douzaine de femmes, version Barbe-Bleue ? Des piles de feuilles sur lesquelles s'étalaient "un tiens vaut mieux que deux tu l'auras" à l'infini, version Shining ?

Sa première impression fut celle d'une fascination. La pièce ressemblait au vieil atelier d'un bibliothécaire fou. Des albums empilés les uns sur les autres cachaient les murs dans une sorte de véritable capharnaum. Au milieu, un petit bureau recouvert de timbres consistait en l'unique mobilier de la pièce. Les yeux de Kevin s'arrétèrent un instant sur la paire de ciseaux et la colle posées sur le bureau. Ses mains parcoururent la couverture d'un album avant de l'ouvrir. Des timbres. Combien y en avait il dans cette pièces ? Des milliers ? Des millions ? C'est alors que l'odeur lui parvint. Une odeur forte. Une odeur qu'il connaissait.

Le feu s'empara de la pièce à une vitesse prodigieuse. Kevin se trouvait emprisonné au milieu des flammes, au coeur d'un tourbillon de timbres et de cendres. L'air devint vite saturé. Ce ne furent pas les brulures ni meme la fumée asphixiante qui blessèrent le plus Kevin, mais ce rire venu d'ailleurs qui prit le dessus sur tout le reste. Sa mère, une bouteille d'alcool à bruler à la main, se tenait sur le pas de la porte et regardait la pièce s'enflammer. Et son rire de démente qui continuait et continuait. Ne pouvait elle donc se taire ? Des larmes coulèrent sur les joues de Kevin. Comme sa mère continuait de rire, il sortit de sa paralysie et se rua vers l'extérieur, vers ce rire qu'il fallait absolument faire taire.

Aujourd'hui encore, Kevin rend visite à son père et à sa mère à l'hopital psychiatrique dans lequel l'ironie a voulu qu'ils se retrouvent tous les deux. Le docteur Le Couennic prend bien soin d'eux. Mais les réunions familiales ont désormais un gout amer.

C'est en tombant sur John, son ami d'enfance, dans la cours de l'hopital, que Kevin admit qu'il avait lui aussi un problème.

- Tiens John, ca fait plaisir de te voir. Qu'est ce que tu fais là ?
- Fais attention Kevin... si je me souviens bien, tu en as toi aussi. Mefie toi d'elles. Elles vont détruire le monde. Il faut les bruler. Les bruler. Ah ! Ah ! Ah !
- Mouais. T'as raison. Moi aussi en fait j'ai un problème. J'ai regardé dans le dico, et je crois bien que je suis philatélophobique...

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